Le PDG de la Société Nationale d’Assurance (SAA), Nacer Sais considère la crise sanitaire due à la pandémie de la Covid-19 comme une opportunité pour les compagnies d’assurances, impactées par cette crise, de se développer. Dans un entretien accordé au magazine Indjazat paru dans son édition du mois aout, Nacer Sais a toutefois pointé du doigt deux problématiques majeures qui peuvent, selon lui, causer, à terme, des difficultés aux acteurs de la place, à savoir : la baisse du niveau d’activité et donc du chiffre d’affaires, mais également et surtout l’encaissement des primes et la récupération des créances.
Entretien réalisé par Hacène Nait Amara
Le secteur des assurances, à l’instar de tous les autres secteurs, est impacté par cette crise sanitaire due à la COVID 19. Comment évaluez-vous de manière générale cet impact, notamment sur la compagnie d’assurance que vous dirigez ?
Une chose est sûre, c’est que personne n’a pu prévoir, et donc pas même anticiper, cette crise sanitaire majeure qui a frappé et continue de frapper la planète toute entière.
Nous avions connu un exercice 2019 déjà difficile, caractérisé par la persistance des difficultés économiques et financières du pays induites à la fois par la baisse drastique de ses revenus extérieurs, mais surtout par le retard enregistré par notre économie en matière de diversification, impactant négativement la croissance du PIB (0,9%, vs 1,4% pour 2018).
Cela ne nous a pas empêché, toutefois, d’enregistrer un chiffre d’affaires de 29,12 milliards de DA, une croissance des primes émises de l’ordre de 5,25% par rapport à n-1, supérieure à la moyenne du marché. Ce qui a permis à notre société de conserver sa part de marché, voire de l’améliorer légèrement.
Pour l’année 2020, ce sera sans doute une toute autre histoire. La note de la Banque d’Algérie sur la situation économique durant le premier trimestre 2020 et les perspectives d’évolution, n’est guère optimiste et prévoit à fin 2020 une croissance négative de -2,6% du PIB.
Un autre indicateur tout aussi inconfortable pour nous assureurs, transmis par l’Office National des Statistiques (ONS), c’est la baisse au 1er semestre 2020 de 7% de la production industrielle (hors secteur de l’agroalimentaire et des industries diverses).
Il faut dire que nous avons ressenti l’impact de ce recul du rendement de notre économie et constaté ses répercussions sur notre activité avec les chiffres peu reluisants du premier trimestre, dévoilés par le Conseil National des Assurances (CNA) dans sa note de conjoncture.
Au premier trimestre 2020, le chiffre d’affaires, toutes activités confondues, s’élève à 40,6 Milliards de Dinars (326,41 Millions Dollars), contre 42,7 Milliards de Dinars (354,23 Millions Dollars) au 31 mars 2019, en baisse de 4,9%.
Les émissions provisoires des assurances dommages s’élèvent à 35,6 Milliards de Dinars, soit 87,8% du total des primes, en baisse de 5,30%, contre une croissance de 5,9% lors de l’exercice précédent.
Deux problématiques majeures peuvent, à terme, causer des difficultés aux acteurs de la place, à savoir : la baisse du niveau d’activité et donc du chiffre d’affaires, mais également et surtout l’encaissement des primes et la récupération des créances.
Quelles sont les branches d’assurances les plus touchées ?
Toutes les branches pratiquées ont connu une baisse, exception faite de celle relative à l’Incendie et Risques Divers (IRD), qui a enregistré une modeste croissance de 0,24%, (soit 32 millions de dinars).
Ce qui nous a impacté le plus, comme vous pouvez l’imaginer, c’est la régression importante de la branche automobile, qui passe à -6,91%, soit 1.487 Millions DZD de manque à gagner pour les compagnies d’assurance. Ceci s’explique grandement par les mesures de restriction prises dans le cadre de la lutte contre la pandémie liée au Covid 19, conjuguées à celle de la Loi de finance 2020 obligeant les sociétés d’assurance à collecter au profit du trésor public, la taxe anti-pollution, ayant eu un effet repoussoir.
En ce qui concerne notre société, je dirai que l’impact n’a pas été sévère sur nos comptes. Au premier trimestre 2020, nous améliorons notre positionnement avec 26% de parts de marché, grâce à la croissance des branches hors auto (12,40%), avec 02 points de gagnés en termes de part de marché. Il faut néanmoins se garder de prendre comme référence les résultats du premier trimestre, qui peuvent facilement évoluer dans le sens d’une baisse plus prononcée pour les considérations évoquées précédemment.
D’aucuns estiment que l’après COVID ne sera plus comme l’avant COVID. Le secteur des assurances est-il concerné par cette situation ?
Après l’effondrement en 2014 des cours du brut sur les marchés, puis aujourd’hui la crise sanitaire due à la pandémie du Covid-19, il est constaté ce que l’on nomme en économie un « choc de l’offre », caractérisé au niveau mondial par une baisse drastique des investissements internationaux industriels, les plus touchés par la crise de la COVID-19.
Dans notre pays, il me parait évident que l’ensemble des entreprises algériennes vont inéluctablement faire face à des mutations profondes de leur environnement général, celles du secteur financier en particulier.
Tant dans le monde qu’en Algérie, il s’agit à mon sens d’une crise, oui, mais « d’opportunité » pour le secteur des assurances. Il est établi que c’est dans les moments de crises que les assurances se développent, grâce à une amélioration de la demande provenant des ménages et des entreprises, demande qui traduit le souci de protection contre les aléas traversant leurs activités.
Pour bien saisir cette opportunité, les assureurs se doivent d’enclencher un véritable processus de transformation dont la digitalisation qui constitue d’ores et déjà un enjeu de sortie de crise post-COVID 19, et en sera même le fer de lance. La dernière étude parue en ce mois de Juillet de L’Argus de l’Assurance-SAS, souligne parfaitement cette conviction profonde, et dévoile les trois principaux objectifs poursuivis à travers la digitalisation des compagnies d’assurance, à savoir : « améliorer la satisfaction client (83%), augmenter la productivité (70%) et réduire les coûts (52%) ».
A mon sens, le secteur des assurances doit évoluer dans le sens de pouvoir réellement contribuer à l’essor de l’économie du pays, et sortir définitivement de sa position très marginale (0,7% en moyenne du PIB, et moins de 0,2% d’emplois), pour jouer un rôle clé notamment dans la perspective du nouveau paradigme économique annoncé.
Les analyses d’experts internationaux, nous éclairent davantage sur les leviers d’accélération de notre capacité de résilience. Dans sa dernière étude sur le sujet, le cabinet McKinsey nous confirme bien que la crise a apporté son lot de turbulences bousculant les organisations dans leurs certitudes et leurs habitudes.
A commencer par les modes d’organisation du travail affectés par le confinement puis la distanciation, avec plus de télétravail, d’automatisation des tâches de bureau et des processus de gestion. McKinsey estime « que 60% des métiers verront 30% à 40% de leurs tâches quotidiennes automatisées d’ici 2030 ».
L’intégration de technologies innovantes telles l’Intelligence Artificielle (IA), ou la Blockchain ainsi que l’ensemble des outils de digitalisation et les plateformes collaboratives sortent ainsi vainqueurs.
Swiss Re, réassureur mondial, nous renseigne dans son dernier rapport sur l’impact occasionné par la crise sanitaire sur l’industrie mondiale de l’assurance dont les pertes seraient « considérables et estimées à 55 milliards de dollars ».
Toutefois, ce rapport prévoit que le secteur des assurances fera preuve de résilience, et que « les primes d’assurances mondiales devraient revenir aux niveaux d’avant la crise dès 2021, et considère l’activité assurance dommages comme facteur par excellence qui dopera l’ensemble de l’industrie avec des primes supérieures à la période pré-pandémie ».
En Algérie, comme vous le savez déjà, une commission de sauvegarde installée récemment par Monsieur le Premier Ministre, est chargée d’évaluer les impacts économiques dus à la crise sanitaire des entreprises algériennes. Un rapport issu du vécu des acteurs socio-économiques est élaboré et a fait l’objet d’un examen approfondi lors du Conseil des Ministres tenu le 26 Juillet écoulé prochain. Une conférence nationale regroupant les acteurs économiques et syndicaux est prévue par ailleurs les 17 et 18 Aout prochain dont l’objectif est d’échanger et débattre du projet de plan de relance économique.
A nous de rester donc en veille active et de nous préparer face aux signaux de la relance économique dans notre pays ainsi qu’aux possibles évolutions réglementaires à venir.
Une réflexion autour de l’idée de création d’un régime de type assurantiel destiné à intervenir en cas d’une future catastrophe sanitaire majeure a été engagée par certains pays. Votre avis sur cette question ?
Nous avons suivi de près cette actualité, et il est évident que les pertes d’exploitation consécutives à la crise sanitaire due à la COVID-19, ont constitué un sujet majeur en France (Axa, MAIF), aux Etats-Unis mais également au Royaume-Uni (Aviva et QBE).
Pour ne citer que la France, les pertes d’exploitation de l’ensemble des entreprises françaises dues à la COVID-19 ont été estimées par la Fédération Française de l’Assurance (FFA) à 147 Milliards d’Euros.
Cette dernière a par ailleurs proposé un dispositif dénommé CATEX pour la circonstance, qui renvoi au principe de régime de protection contre les conséquences économiques de catastrophes exceptionnelles.
Le CATEX prévoit une « capitale résilience » calculé sans besoin d’expertise dans les 20 à 30 jours qui suivent la déclaration par l’assuré à son assureur. Ce dispositif va concerner toutes les entreprises de moins de 250 salariés et près de 3.260.000 Travailleurs Non-Salariés (TNS), c’est-à-dire les travailleurs individuels indépendants (commerçant, artisan, professionnel libéral) ou des gérants majoritaires de sociétés.
Un groupe de travail avait été installé en Avril dernier auprès du Ministère français de l’Economie et des Finances, qui a remis tout récemment ( 16 Juillet dernier), ses conclusions dans un rapport couvrant tous les aspects d’indemnisation des risques exceptionnels et pandémiques (y compris la proposition du dispositif CATEX).
Riche en enseignements, ce rapport pointe notamment l’absence en France, et à l’étranger, d’un réel dispositif d’indemnisation des risques exceptionnels et pandémiques. Il détaille également plusieurs scénarios possibles pour encadrer les contours du dispositif assurantiel : régime assurantiel basé sur la mutualisation des risques et/ou reposant sur une gestion individuelle et flexible des risques exceptionnels.
Il nous faudra suivre également les avancées du projet « Pandemic Risk Pool », le régime européen de mutualisation des risques de pandémie. Cette initiative est à mettre au crédit du groupe d’assurance italien Generali suite à sa signature d’un protocole d’accord avec « l’organisation européenne des chambres de commerce et d’industrie (Eurochambres), qui regroupe plus de 20 millions d’entreprises (dont plus de 93% PME) localisées dans 43 pays différents ».
Vous l’avez compris, les choses bougent. La crise est de nature plus « séquentielle » et les solutions émergent de manière « séquentielle » elles-aussi. Nous nous devons de continuer à surveiller et à exploiter ces benchmarks internationaux pour contribuer le moment venu à l’élaboration d’un dispositif similaire, pourquoi pas, au niveau de notre marché. Nous avons compris, à travers les différentes interventions du Président de la République, la volonté des pouvoirs publics de passer du traitement budgétaire à la couverture par l’assurance, des conséquences d’évènements aléatoires dommageables.
Cette façon de faire conduira inéluctablement à l’émergence d’une véritable industrie d’assurance dans notre pays et enclenchera un cercle vertueux de prise et de gestion des risques, d’amélioration de la pénétration et de financement de l’économie.
Il revient maintenant à l’ensemble des acteurs du marché de mobiliser les moyens et l’expertise nécessaires, afin de pouvoir assumer, le moment venu, convenablement ce rôle.
Qu’elles sont les conditions qui permettraient, selon vous, aux compagnies d’assurance d’intégrer dans leur banque d’offres, l’état de catastrophe sanitaire, un produit qui s’avère indispensable pour des milliers d’entreprises ?
J’y vois en premier lieu la nécessaire constitution de la data. Une base de données intègre, fiable et actualisée ainsi que des études statistiques et enquêtes capables de permettre aux actuaires des compagnies d’assurance de modéliser le risque pandémique.
Secundo, s’en suivra logiquement la cuisante question de la tarification, des modalités de couverture et du type de contrat. Car même si la tentation est grande de calquer le régime CatNat, il faudra éviter l’exercice du « copié-collé ». Nous ne parlons pas ici de dommages directs, mais bien de conséquences financières directes ou indirectes, comme celles issues de fermetures administratives généralisées.
Il s’agira tertio de s’assurer de la mobilisation de toutes les parties et y prévoir la communication la plus percutante et pédagogique à la fois, car l’expérience nous a démontré que la demande d’assurance a rarement porté sur le segment des pertes d’exploitation, insuffisamment souscrits, et qu’il ne suffisait pas de rendre des couvertures obligatoires pour les voir effectives auprès de nos assurés, hormis celles de l’automobile.
En tout état de cause, et si nous optons pour une logique assurantielle, nous ne pourrions pas faire l’économie d’une réflexion pour un système qui favorisera la répartition de la charge entre les entreprises, les assureurs et l‘Etat, car les montants en jeu sont considérables ; ils représentent la marge brute de l’ensemble du secteur économique.
La couverture pourrait être commercialisée en extension des contrats « multirisques des professionnels » avec pour objectif adjacent, le développement de ce segment d’assurance.
Un système garanti entièrement par l’Etat, mais dont la gestion sera confiée aux organismes d’assurance qui délivreront les couvertures et s’occuperont de gérer les indemnisations en cas de catastrophe pourrait également être envisagé.
Avez-vous abordé le principe de l’assurabilité de la pandémie ou de l’épidémie au sein de l’UAR ?
S’agissant des travaux au sein de l’UAR en relation avec cette pandémie, je dirai qu’une première contribution a déjà été transmise en Mai dernier à la tutelle, autour d’une note d’analyse soulignant les contraintes et conséquences induites par les mesures de prévention et de lutte contre la COVID-19, sur les compagnies d’assurance et de réassurance.
Tel que prévu par ailleurs dans le plan d’actions pour 2020 de l’UAR, il est question d’accélérer la digitalisation des processus de gestion des compagnies d’assurance, et de développer la vente à distance ou « e-payment » pour les risques simples des particuliers et des PME/PMI. Ceci va dans le sens de renforcement des capacités des organismes d’assurance à maintenir leur activité y compris en temps de crise de type Covid-19.
Sur un autre registre, l’UAR a initié récemment une première réflexion sur la question d’une couverture des pertes d’exploitation des entreprises algériennes face aux impacts économiques et financiers de la pandémie.
Nous appuierons avec enthousiasme l’idée de faire partie d’un groupe de travail interne et/ou intersectoriel consacré à la question, et de contribuer ainsi à une solution, à l’instar de ce qui se fait en ce moment dans d’autres pays.
Comment envisagez-vous le futur du marché mondial de l’assurance, et du marché national en particulier ?
Comme déjà évoqué avec vous dans l’une de vos questions précédentes, l’industrie mondiale de l’assurance semble plutôt optimiste pour un retour en grâce post-COVID 19 dès 2021.
D’après Swiss Re, les primes totales seront en légère hausse de 1% pour l’année en cours, et augmenteront de 7% pour 2021, tirées par les marchés émergents (la Chine en tête).
Mais il est fort probable que ce choc du COVID-19 appelle nos compagnies à repenser progressivement les modèles économiques, les modes organisationnels de production et de gestion notamment grâce à la digitalisation, ainsi que la concentration et/ou l’émergence de pool d’assurance de certains risques majeurs tels les conséquences des pandémies, des cyber risques, etc..
Dans la continuité de mes propos, la Banque d’Algérie estime qu’un rebond pourrait être envisagé mais pas avant 2021, voire 2022 autour d’un taux moyen de 3% tiré par le dynamisme du secteur de l’agriculture et les reprises attendues du secteur du BTP et des services marchands, notamment suite aux investissements publics annoncés par l’Etat dans le secteur de l’habitat et la réorganisation du secteur du commerce.
Il est question également d’un Plan de relance économique doté d’une enveloppe de 1000 Milliards de DA, en sus des 10 Milliards de dollars disponibles qui viendraient s’ajouter aux économies susceptibles d’être faites sur les dépenses inhérentes aux services et autre études.
Surveillons par ailleurs les tendances statistiques démographiques de notre pays, les nouveaux modes de consommation des produits et surtout des services notamment financiers (dont l’assurance traditionnelle et Takaful assurance), et attendons les chiffres finaux pour l’exercice 2020 du marché national. Nous en tirerons certainement les analyses et les projections qui s’imposent à même de nous aiguiller dans la bonne direction.
Pour les acteurs économiques algériens, et les compagnies d’assurance au premier chef, je pense qu’il faudra s’armer de patience et d’abnégation. Les maîtres mots sont dès à présent : Adaptation au nouveau contexte, Résilience face aux mutations et aux nouveaux enjeux, et Transformation des modèles d’affaires pour assurer la pérennité des organisations dans ce nouvel ordre socio-économique et technologique mondial.
Le confinement décidé par les autorités du pays a contraint les entreprises de recourir au télétravail. Qu’en est-il de la SAA ?
Effectivement, à l’instar de beaucoup, le télétravail a été pratiqué par notre compagnie durant le confinement.
Comptez-vous conserver ce mode de travail, qui semble avoir donné des résultats probants, à l’avenir ?
Le mérite de la crise sanitaire actuelle réside dans le fait qu’elle a d’ores et déjà conduit les managers à se rendre compte des limites de leur organisation du travail et des processus existants. Elle poussera l’ensemble des entreprises à repenser leur ‘’business model’’ pour les adapter aux exigences de continuité d’exploitation voire de survie.
L’Etat a lancé une opération de solidarité nationale à travers la création d’un Fonds dédié à la lutte contre la COVID 19. La SAA a-t-elle participé à cette opération ?
La SAA n’avait pas le droit de rester en marge concernant cette opération ; elle a bien entendu, contribué à ce fonds à l’instar des autres organismes tant publics que privés.
Note société a par ailleurs initié d’autres opérations en direction de certains établissements directement impliqués dans la lutte contre cette pandémie.
H.N.A