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Explosions à Beyrouth : qu’est-ce que le nitrate d’ammonium, à l’origine de plusieurs accidents ?

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Selon le Premier ministre libanais, environ 2750 tonnes de nitrate d’ammonium étaient stockées dans l’entrepôt du port qui a explosé, causant des dizaines de morts et des dégâts sans précédent dans la capitale libanaise.

2750 tonnes… Ce nombre, qui donne le tournis, c’est la quantité de nitrate d’ammonium stockée dans l’entrepôt du port de Beyrouth qui a explosé mardi, causant des dizaines de morts et des dégâts sans précédent dans la capitale libanaise, selon le Premier ministre du pays sur lequel s’abattent, décidément, toutes les calamités.

C’est ce même produit qui est pointé du doigt lors de l’explosion de l’usine AZF à Toulouse en 2001. Sauf que, à titre de comparaison, « seules » 300 t y étaient stockées.

Principalement employé comme engrais

Le nitrate d’ammonium, c’est un sel blanc et inodore utilisé principalement comme base de nombreux engrais azotés sous forme de granulés. Ce type d’engrais est utilisé dans le monde entier pour obtenir un meilleur rendement et est jugé indispensable par de nombreux agriculteurs.

Ainsi, en Gironde, Benoît Labouille utilise chaque année « un peu plus de 10 tonnes » d’ammonitrate, un engrais composé de nitrate d’ammonium, sur presque toutes ses cultures en conventionnel. Cette formule d’engrais azoté est « très utile », explique-t-il, car « directement assimilable par la plante » qui a besoin d’azote pour se développer et bénéficie ainsi d’un « petit effet de boost ». Il précise stocker cet engrais « sous des hangars propres, secs » et à l’écart.

Le Liban est connu pour être un gros consommateur d’engrais : avec 330 kg par hectare, le pays en utilise deux fois plus que la moyenne mondiale, relevait en février l’organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). La Russie est de loin le premier pays producteur, avec près de 10 millions de tonnes en 2017, soit 45 % de la production mondiale.

Il entre aussi dans la composition d’explosifs

Le nitrate d’ammonium n’est pas un produit combustible : c’est un comburant, c’est-à-dire qu’il permet la combustion d’une autre substance déjà en feu. C’est pour cette raison qu’il est également utilisé dans la fabrication d’explosifs. « Mélangé au TNT (trinitrotoluène) ou à la pentrite, il est utilisé dans le bâtiment, les mines et les carrières », précise la Société chimique de France.

Conditions de stockage très strictes

Pourquoi le nitrate d’ammonium stocké au port de Beyrouth s’est-il enflammé ? La cause n’est pas encore connue. Mais « c’est très difficile de le brûler », note Jimmie Oxley, professeure de chimie à l’université du Rhode Island, qui a elle-même travaillé sur la combustion du nitrate d’ammonium. « Ce n’est pas facile (non plus) de le faire détoner. »

Le composé, comme ses dérivés, sont soumis à des règles strictes : il convient « d’isoler le stockage d’engrais des produits incompatibles avec le nitrate d’ammonium, surtout en cas d’incendie », précise une fiche technique du ministère de l’Agriculture, qui cite notamment les liquides inflammables, les gaz liquéfiés sous pression ou les liquides corrosifs.

Principaux risques et conséquences

« Insensible aux chocs et aux frottements, le nitrate d’ammonium est un explosif médiocre sauf s’il est mélangé à des combustibles comme des hydrocarbures, ou s’il est fondu et confiné lors, par exemple, d’un incendie violent », indique la Société chimique de France.

Les explosions sont typiquement des détonations qui causent d’énormes dommages en raison de l’onde de choc supersonique, qui est clairement visible sur les vidéos » de Beyrouth, commente Andrea Sella, chimiste à l’université londonienne UCL, cité par le Science Media Centre. Selon lui, il s’agit d’une « faille de réglementation catastrophique, car les règles sur le stockage du nitrate d’ammonium sont très claires ».

Au vu « des premières fumées de couleur blanche, suivies d’une explosion qui a relâché un gros nuage rouge et brun, puis un nuage blanc en forme de champignon, cela indique que les gaz émis sont des vapeurs de nitrate d’ammonium blanc, du protoxyde d’azote toxique et de l’eau », renchérit Stewart Walker, professeur à l’université australienne de Flinders.

A l’origine de plusieurs tragédies

L’un des tout premiers accidents fit 561 morts en 1921 à Oppau en Allemagne, dans une usine BASF. En 1947, Brest fut secouée par l’explosion du cargo norvégien Ocean Liberty qui transportait la substance.

En France aussi, empilées en vrac dans un hangar de l’usine chimique AZF, dans la banlieue sud de Toulouse, quelque 300 t de nitrates d’ammonium ont subitement explosé et fait souffler un vent de mort et de désolation sur la quatrième ville de France le 21 septembre 2001 : 31 personnes sont mortes, et la déflagration fut entendue 80 km à la ronde.

Aux Etats-Unis, une terrible explosion à l’usine d’engrais West Fertilizer, à West au Texas, fit 15 morts en 2013. Un stock de nitrates d’ammonium a explosé à cause d’un incendie d’origine criminelle ; l’absence de normes de stockage avait été mise en cause par les enquêteurs.

Le nitrate d’ammonium peut aussi être utilisé dans des engins explosifs. Le 19 avril 1995, Timothy McVeigh avait fait exploser une bombe fabriquée à partir de deux tonnes de l’engrais devant un bâtiment fédéral à Oklahoma City, tuant 168 personnes.

Mais la professeure Oxley nuance en rappelant que le nitrate d’ammonium est devenu indispensable à l’agriculture et à la construction. « Nous n’aurions pas ce monde moderne sans explosifs, et nous ne pourrions pas nourrir la population actuelle sans les engrais au nitrate d’ammonium », dit-elle. « Nous en avons besoin, mais il faut faire vraiment attention à ce qu’on fait avec ».

 R.N

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