Le constat que fait Hassen Khelifati, de la situation des entreprises du secteur des assurances n’est pas du tout rassurant. Le PDG d’Alliance Assurances estime, en effet, que les difficultés engendrées par la pandémie du Covid-19 qui frappe le pays n’a fait qu’aggraver la crise qui prévaut dans le secteur, depuis quelques années déjà. Il prévoit un recul dans tous les indicateurs de performance et une augmentation des créances douteuses. Des mesures techniques et juridiques de sauvegarde ont été proposées par les entreprises concernées au ministère des Finances, qui a promis d’étudier la situation mais, explique M. Khelifati, les pouvoirs publics devraient saisir cette occasion pour engager des réformes profondes et sérieuses et ne pas se contenter de simples « mesurettes ».
Entretien réalisé par Hacène Nait Amara
Comment évaluez-vous l’impact de la crise sanitaire sur le secteur des assurances en Algérie ?
Je dois rappeler d’abord que le secteur des assurances a subit plusieurs coups depuis déjà plusieurs années. L’année 2020 a commencé très mal à cause de la crise économique qui prévaut dans le pays, en plus de l’instauration de la taxe sur la pollution qui a impacté directement le secteur des assurances. Je dois préciser à ce propos que nous avons beaucoup lutté pour qu’on soit dispensé de percevoir cette taxe car nous avons anticipé ses effets sur le chiffre d’affaires des compagnies mais malheureusement nous n’avons pas été écoutés. Aujourd’hui, la situation sanitaire a exacerbé la crise, étant donné que nous sommes actuellement sur un chiffre d’affaires qui a été de -30% en mars et -50 à -60% en avril. Sur toute l’année, nous sommes déjà à -20%. Globalement, si nos estimations sont justes, nous terminerons l’année avec un chiffre d’affaires en recul de 30 à 40 % pour tout le secteur, si la crise perdure. Aujourd’hui, chez les assurés particuliers, l’assurance passe en deuxième priorité, mais aussi chez les entreprises qui sont en difficulté. Nous avons remarqué, à ce propos que beaucoup de contrats d’assurances n’ont pas été renouvelés et que les créances douteuses ont considérablement augmenté car les entreprises soit n’ont plus de trésorerie, soit font de la rétention de trésorerie. Aujourd’hui, nous sommes dans une situation où plusieurs facteurs nuisibles au secteur se sont réunis, à savoir la guerre des prix et le dumping, la taxe sur la pollution, la crise du marché du véhicule neuf, plus récemment la pandémie du Covid-19. Je dois relever aussi cette bizarrerie algérienne qui consiste en la vente à crédit de contrats d’assurances, une pratique qui n’existe nulle part ailleurs qu’en Algérie. L’explosion des créances douteuses que nous prévoyons va déstabiliser complètement les équilibres financiers des entreprises d’assurances. C’est la raison pour laquelle les compagnies d’assurances ont élaboré un document qu’elles ont transmis au ministère des Finances pour essayer de trouver des mesures techniques et juridiques de sauvegarde et faire face, ainsi, à cette grave crise de liquidité et de trésorerie dans le secteur des assurances.
Que faudrait-il faire pour remédier à cette situation ?
Il faut des réformes profondes, sérieuses et irréversibles. Mais cela prendra beaucoup de temps et ça fait des années que nous réclamons ces réformes. Pour le secteur des assurances, à l’instar des autres secteurs d’ailleurs, le gouvernement doit prendre des mesures fortes.
Justement le gouvernement a décidé par exemple le report des échéances fiscales et bancaires. Cela est-il suffisant à votre avis ?
Certes, le gouvernement a pris ce genre de mesures mais pour des périodes très courtes, alors que la crise sanitaire a duré dans le temps. Je crois qu’il faudrait trouver des mécanismes pour aller un peu plus loin. En ce qui concerne notre secteur, nous avons des mécanismes internes qu’on peut activer. Pour la marge de solvabilité, les créances, les engagements réglementés et la constitution des engagements, nous avons demandé qu’il y ait un assouplissement pour permettre aux compagnies de faire face à cette crise de trésorerie et de relancer les activités. Il faudrait aussi que le régulateur intervienne très sérieusement pour mettre un terme à la guerre des tarifs et au sous-provisionnement des sinistres, ainsi que la vente à crédit des contrats d’assurance sans garanties de recouvrement, une pratique unique dans le monde des assurances et spécifiquement algérien qui cause des dégâts incommensurables sur l’équilibre financier des compagnies d’assurances algériennes, pour permettre la reconstitution des réserves des compagnies d’assurances.
Les entreprises impactées par cette crise peuvent-elles prévaloir des dédommagements auprès de leurs assureurs ?
Malheureusement non. Mais cela ne concerne pas uniquement l’Algérie, en ce sens qu’il s’agit d’un problème relevant de la perte d’exploitation sans dommage ayant touché le monde entier où les entreprises ont été impactées par cette crise sans pour autant subir des dommages matériels. C’est une expérience mondiale inédite et les réassureurs mondiaux commencent à penser à l’avenir et mettre ce genre de produit pour faire face aux éventuelles futures crises sanitaires.
Comment le fonctionnement d’Alliance Assurances s’est-il adapté à cette crise ?
Nous avons mis beaucoup de personnels soit en congé, soit en formule télétravail. Nous avons également mis en place toutes les mesures de protections telles le port de masque, l’utilisation du gel hydro-alcoolique, prise de température corporelle de notre personnel et de nos visiteurs, distanciation sociale…etc. Je peux dire aujourd’hui que cette crise sanitaire a révélé le degré de retard de l’Algérie dans le domaine numérique, notamment en ce qui concerne les moyens de paiement modernes. L’une des priorités post-pandémie est d’aller vers la modernisation et la mise à niveau de l’infrastructure numérique du pays et de l’ensemble du système financier et bancaire, mère de toutes les réformes. Nous sommes appelé a tiré les leçons qu’il faut de cette crise si nous voulons nous prévenir de futures crises similaire.
H.N.A